DOSSIER DES LATINISTES

TEXTES DU MUSEE ROMAIN DE LAUSANNE-VIDY

obligeamment communiqués par leur auteur, M. Laurent Flutsch

LE MUSEE ROMAIN DE VIDY ET SON SITE DE LOUSONNA

La domus du musée

Tentative de restitution

Enquête en quête du passé

Les archives du sol

2000 ans vus de profil

De la fouille au musée

Lousonna vers 200

Fausse Rome: le forum

Le forum de Lousonna vers 250

La basilique

Le temple

L'espace sacré

Autres bâtiments

 

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La domus du musée

Sise à l'angle de deux rues, la riche demeure sur laquelle est édifié le musée fut bâtie à partir de la deuxième moitié du 1er siècle de notre ère, à l'emplacement d'une précédente habitation en bois et en torchis. Elle subit plusieurs réfections et agrandissements jusqu'à son abandon à la fin du 3e ou au début du 4e siècle. Les vestiges visibles dans le musée et à ses abords remontent pour la plupart à la fin du 2e siècle.

C'était sans doute l'une des maisons les plus cossues de Lousonna. Son plan, exceptionnel, la rapproche d'une domus italienne ou du Sud de la Gaule. Autour d'une cour centrale pavée de molasse, occupée par le puits visible au rez-de-chaussée du musée, s'ouvrent les locaux d'habitation ; dans l'axe de la cour, la pièce ornée de fresques, également visible. Dans l'angle opposé, un local aujourd'hui recouvert, chauffé par hypocauste et doté d'un bassin. Entourée de jardins, cette vaste maison témoigne de l'aisance des propriétaires et de leur goût pour l'aménagement à la romaine.

Au Nord du mur mitoyen, des espaces artisanaux et commerciaux flanqués de portiques donnent sur la rue.

 

(Plan des vestiges)

 

Tentative de restitution

Difficile de connaître avec certitude l'aspect originel d'édifices dont ne restent, en général, que des murs arasés. Toutefois, en se fondant sur le plan (écartement des colonnes, largeur des seuils, dimensions des pièces…), sur l'épaisseur des fondations, cas échéant sur la fonction et le calibre des fragments architecturaux, enfin en tenant compte d'impératifs tels que la portée des poutres de charpente, l'écoulement des eaux de pluie et l'éclairage naturel, on peut proposer une restitution où intervient aussi la comparaison avec d'autres édifices antiques.

A noter : la galerie fermée et vitrée au Sud de la partie résidentielle ; attestée ailleurs, cette variante est plus plausible, sous nos latitudes, que la galerie à colonnade ouverte.

Maquette : Ducroy.Grange, Lyon. Echelle 1:50.

 

Enquête en quête du passé

L'archéologue ne cherche pas de beaux objets, mais des informations. Ce n'est pas un collectionneur mais un enquêteur, qui en fouillant le terrain tente d'en tirer un maximum d'enseignements.

Tous les indices sont précieux : la couleur de la terre, la trace d'un piquet, un grain de pollen, un infime tesson peuvent se révéler aussi instructifs qu'une pièce d'or. Et surtout, c'est la position relative des vestiges et des objets, dans la stratigraphie et dans le plan, qui leur donne du sens. En place, 10 clous alignés, qui dessinent une construction dont il ne reste rien d'autre, valent bien plus que les mêmes clous dans une boîte. Ou une banale monnaie de bronze, qui date sa couche et les postérieures, est bien plus précieuse que la même pièce hors contexte. Celui qui, armé d'un détecteur de métal, creuse un trou pour la prélever, ne fait pas que dérober un objet : il détruit toute une chaîne de déductions et d'informations.

En Suisse, le patrimoine archéologique est bien protégé par la loi. Les fouilles sont soumises à l'autorisation des services cantonaux d'archéologie et placées sous leur contrôle. Ce n'est hélas pas le cas dans d'autres pays, où les fouilles sauvages qui alimentent le juteux marché de l'art causent des dégâts catastrophiques. En arrachant au sol les vases grecs, les statuettes précolombiennes et autres pièces qui finiront dans les vitrines chics des marchands, les pillards détruisent les sites (le plus souvent funéraires), effaçant irrémédiablement quantité d'informations. C'est pourquoi, si l'archéologie vous intéresse, n'achetez pas d'objets dans le commerce : vous ne feriez qu'encourager la mise à sac du patrimoine mondial.

 

Les archives du sol

Le terrain est formé de couches superposées, liées à des apports naturels (alluvions, végétation…) ou à des activités humaines (remblais, ruines…). En fouillant, les archéologues analysent ces strates successives, les plus profondes étant bien entendu les plus anciennes. A l'intérieur d'une même couche, les vestiges sont en principe contemporains.

Les restes de constructions, comme les murs, coupent des couches, sont associés à certaines, sont scellés par d'autres. Autant de clés qui permettent d'établir une chaîne chronologique.

La coupe verticale du terrain est donc une sorte de table des matières, qui donne les principaux chapitres de l'occupation du site. La lecture de ces chapitres correspond au décapage des couches, qui révèle le plan des aménagements ainsi que la répartition des objets, qui serviront à dater chaque phase.

Fouiller, c'est disséquer scientifiquement le terrain, faire des coupes, dégager les strates l'une après l'autre. Fouiller, donc, c'est détruire irrémédiablement. C'est pourquoi il est primordial d'enregistrer sur le chantier toutes les observations, notamment par le dessin. Ainsi pourra-t-on, par la suite, corréler l'ensemble des données (succession des couches, plan des vestiges, lieu de trouvaille des objets) et tenter de reconstituer une bribe d'histoire.

 

2000 ans vus de profil

Tout à fait caractéristique de ce qu'on peut découvrir dans le sous-sol de Vidy, la coupe exposée ici raconte, en gros, l'histoire que voici:

  • Sur un sol de sable déposé à l'époque glaciaire a été construite, au début de l'époque romaine (vers 20 avant J.-C?), une maison en architecture légère : parois de poutres et de poteaux plaquées d'argile, sols en terre battue où deux morceaux de tuiles, visibles en coupe, servent de foyer. Le toit est couvert de tuiles, abondantes dans la couche noirâtre qui correspond à la destruction, sans doute par le feu, de l'habitation.

  • Par-dessus, toujours à l'époque romaine (1er siècle après J.-C.), on dépose des remblais, puis on creuse une tranchée où l'on implante la fondation d'un mur en maçonnerie. D'un côté de ce mur, à l'extérieur, un portique soutenu par des poteaux reposant sur de grosses pierres, et doté d'un sol en terre battue sous lequel on a posé une petite canalisation. De l'autre côté, à l'intérieur, une pièce munie d'un sol de mortier coulé sur un lit de galets, et d'enduits muraux peints.

  • Plus tard, on perce le sol de la pièce pour y planter un poteau, peut-être destiné à soutenir un plafond défaillant. Il est possible que le portique soit déjà ruiné à ce moment là.
  • Puis, peut-être au 4ème siècle, c'est l'abandon : la toiture s'effondre, brûle peut-être ; le mur tombe en ruine, pierres et gravats s'accumulent.

  • Au fil des siècles suivants, la végétation et les alluvions recouvrent les vestiges d'une épaisse couche de terre, brassée par les labours.

  • Il y a quelques années, on a creusé à la pelle mécanique une tranchée afin de poser une conduite. Lors du remblayage, un ouvrier a eu soif.

  • Il y a quelques semaines, un projet de bâtiment administratif a conduit le Service archéologique cantonal à lancer une campagne de fouilles.

 

De la fouille au musée

Sur le chantier déjà, les ensembles de mobilier, numérotés selon l'endroit dont ils proviennent, sont lavés, compté, triés par catégorie. Une première détermination (datation, type d'objets, etc.) est saisie sur un fichier. Les pièces de métal, de bois, d'os ou d'ivoire sont immédiatement acheminées vers le laboratoire du musée cantonal pour traitement de conservation et de restauration. D'éventuels échantillons de sédiments sont confiés à des spécialistes pour analyse (pollens et restes végétaux divers, datation au carbone 14, etc.).

Le reste (poterie, fragments de peinture murale, pierre) est rapporté dans des locaux d'étude pour recollage, dessin, détermination approfondie, analyses statistiques. Corrélées avec les relevés stratigraphiques et les plans du site, les diverses trouvailles contribuent à en dater les phases et à déterminer la fonction des aménagements. Comparées avec celles d'autres sites, elles renseignent sur la diffusion des produits, les échanges commerciaux, les lieux de production, les influences et autres phénomènes culturels.

Après étude et publication scientifique, les objets sont enfin déposés au musée, qui les tient à la disposition des chercheurs, en expose une partie au public, et tente de les conserver pour la postérité.

 

Lousonna vers 200

Un plan régulier autour d'un réseau de rues à angles droits, un aqueduc, des maisons avec leurs cours, des faubourgs artisanaux, des sanctuaires, des cimetières, une place publique, un théâtre... Petite agglomération gallo-romaine typique, Lousonna compte entre 1500 et 2000 habitants. Bâtie tout en longueur au bord du lac, sur la route Vevey-Genève, elle vit surtout de son port. Les marchandises y transitent entre le Léman et la route du Plateau où s'ouvrent, à une trentaine de kilomètres, les voies fluviales du bassin rhénan.

 

Fausse Rome : le forum

Toute agglomération de l'empire romain est dotée d'une place publique qui est la marque de Rome. Centre du pouvoir et des affaires, lieu de rencontre aussi, le forum comporte un espace sacré et un espace profane. Le premier est dévolu au culte, civique et obligatoire, de l'empereur et de Rome. Le second réunit dans la basilique (qui n'a rien à voir avec une église), les activités politiques, administratives, judiciaires et commerciales.

 

Le forum de Lousonna vers 250

A Lousonna, le centre-ville n'est pas au centre-ville : le forum se situe en effet tout à l'est de l'agglomération. L'emplacement est toutefois bien choisi : sur la rue principale, près du Flon et du lac, au carrefour des axes de passage. De plus, une légère élévation naturelle du terrain renforce la position dominante des monuments.

Le forum de Lousonna ne ressemble pas à ceux des grandes villes romaines, fermés et bordés de portiques, aux secteurs bien séparés, temple imposant d'un côté, basilique de l'autre. Ici, les limites sont floues et le sanctuaire principal, par ailleurs construit tardivement, est au milieu de la place. De plus, malgré sa vocation officielle, il ne s'agit pas d'un temple classique avec fronton et colonnes en façade, mais d'un temple typiquement gallo-romain, dont le plan est hérité des anciens lieux de cultes indigènes : une chapelle carrée entourée d'une colonnade sur les quatre côtés.

La basilique

Au premier plan, tout au bord du lac, se dresse le plus grand monument de Lousonna. La basilique abrite probablement la salle de réunion du conseil municipal, qui comme pour toutes les cités de l'ancien territoire helvète, dépend des autorités de la colonie d'Avenches, capitale de la cité des Helvètes (civitas helvetiorum). Lesquelles dépendent du gouverneur de la Province de Germanie supérieure, à Mayence. Lequel dépend de Rome.

La basilique est aussi un tribunal, un centre administratif et une bourse de commerce. Sous le portique côté forum, une rangée de boutiques et de bureaux (scholae), dont celui de la compagnie de navigation du Léman, obtenu sur autorisation des décurions d'Avenches.

Une première basilique a été édifiée dans le 2ème quart du 1er siècle de notre ère, sous les règnes de Tibère, de Caligula ou de Claude. Des annexes y ont été ajoutées par la suite.

(images: vues virtuelles)

 

Le temple

Au milieu de la place et sur l'axe de la grand-rue, le sanctuaire carré est notamment voué au culte obligatoire de Rome et de l'empereur ; les fragments d'une frise montrant le combat des dieux et des géants, typique de l'iconographie officielle symbolisant la victoire de Rome, ont été retrouvés à ses abords. Il semble ne pas avoir été édifié avant le 3ème siècle.

 

L'espace sacré

Accolé à la basilique, il abrite trois petites constructions juxtaposées, probablement des chapelles où se dressaient peut-être les effigies des divinités. A en croire les dédicaces et une statuette découvertes à proximité, on y vénérait entre autres Neptune, Hercule et Mercure. Ce sanctuaire a subi plusieurs transformations au cours des deux premiers siècles, la dernière étant l'agrandissement de l'enclos, aligné sur la façade des scholae de la basilique.

 

Autres bâtiments

La documentation sommaire des fouilles, qui remontent aux années 1930, ne permet guère de dater les nombreux édifices de la place, encore moins de leur attribuer une fonction. Si certains étaient probablement des bâtiments publics, les pâtés de maisons qui bordent le prolongement nord du forum correspondent à des habitations.

Les ruines du forum sont visibles sur la promenade archéologique, à 5 minutes à pied.

Maquette: service d'architecture, ville de Lausanne. Echelle 1:100

 

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©Laurent Flutsch, Conservateur du Musée romain de Lausanne-Vidy