DOSSIER DES LATINISTES

Rétroviseur

Articles publiés dans le quotidien 24 HEURES par M. Laurent Flutsch, directeur du Musée romain de Vidy

Index des rubriques

Le problème d’être devin en vain

Tarquin, dégage !

Le soupçon généralisé consume notre société !

Le mari trompé et l’amant asphyxié

Caprices de princes

Bourbiers

Violence dans la nuit

Philippidès, Polykritos, Micheline

Plan de rigueur

Rumeurs noires

Dernier stade

Un romantique de la Rome antique

Révoltes siciliennes

Suisse exotique

Rapt lybien et otages helvètes

Histoires de boucs

Zéro de conduite

Rouge sur blanc…

Pandémie antique

Dernier stade...

Pauvres riches !

Les jeux du cirque (blanc)

Obama imperator

Attis le ressuscité

Comment tromper le peuple tout en finesse

Quand les Juifs pratiquaient l’Intifada

 

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Rétroviseur 26,  24heures,  02.04.2011

Le problème d’être devin en vain

Elle est infiniment belle, elle s’appelle Cassandre et elle est la fille de Priam, roi de Troie. Prêts à tous les exploits pour la séduire, les soupirants transis se succèdent. En vain. Apollon lui-même est fou d’elle. Et comme l’ensorcelante jeune femme rêve de pouvoir lire l’avenir, le dieu éperdu cède à son caprice: sûr qu’un tel cadeau la fera enfin succomber, il lui offre le don de voyance. C’est raté. Au lieu de la voluptueuse récompense tant espérée, il ne reçoit de la belle qu’un baiser cruellement fugace et désespérément chaste.

Mais on ne se moque pas impunément d’un dieu. Ivre de rage et de frustration, Apollon ne peut supporter l’affront. Et comme il lui est impossible de reprendre le don qu’il a accordé à la séduisante prophétesse, il imagine la pire des vengeances: elle prédira l’avenir avec sûreté et précision, certes; mais personne, jamais, ne la croira.

Ainsi Cassandre prévient-elle son frère Pâris que le rapt d’Hélène entraînera la chute de Troie. Peine perdue, Pâris enlève Hélène. Cassandre clame à tous vents que le très grand cheval apparu devant le rempart troyen est une ruse des Grecs et que des guerriers sont dissimulés dans ses flancs. Inutile, le cheval de Troie est introduit dans la cité. Et ainsi de suite.

Aggravées de crises épileptiques, les transes divinatoires de la belle voyante la font passer pour complètement démente. Elle prédit des événements terribles, personne ne la croit, son impuissance la mine, elle désespère. Apollon tient sa vengeance.

Cassandre finit mal. Après la destruction de Troie, elle est emmenée captive par le roi de Mycènes, Agamemnon, puis l’épouse de ce dernier, Clytemnestre, les assassine tous les deux. Cassandre l’a prédit, bien sûr, mais en vain.

Considérée toute sa vie comme folle et comme porteuse de malheur, elle ne s’est jamais mariée. Il semble toutefois qu’elle ait eu des enfants, puisque sa nombreuse lignée a traversé les âges. Avec pour actuels descendants, entre autres, les opposants aux centrales nucléaires…

Rétroviseur 25,  24heures,  26.02.2011

Tarquin, dégage !

Ayant pris le pouvoir par la force en 534 avant notre ère, le roi romain Tarquin, dit le Superbe, « ne pouvant compter sur l'affection des citoyens, devait régner par la terreur. […] Il pouvait ainsi mettre à mort, exiler, priver de leurs biens ceux qui lui étaient suspects ou qui lui déplaisaient. » En 25 ans de règne, lui et sa famille, notamment son fils Sextus, multiplièrent les exactions et les crimes, jusqu’au jour de 509 où le peuple se souleva. Lâché par l’armée, Tarquin dut s’exiler d’urgence avec tout son clan. « Au milieu du tumulte général, son épouse Tullia s'enfuit de son palais sous les exécrations de la foule ». Ainsi naquit la République : « le peuple romain était désormais libre.»

Du moins le croyait-il. Très vite, le pouvoir fut confisqué par une oligarchie patricienne qui réduisit la plèbe à la misère. Et en 495, nouvelle révolte : « la grogne ne couvait que trop d’elle-même, quand le malheur d'une de ces tristes victimes fit éclater l'incendie ». Maigre, en haillons, hirsute, « un vieillard se précipite sur le forum, couvert de marques » ; il raconte qu’il a perdu tous ses biens, qu’il est accablé de dettes, que son créancier l’a molesté. « A ces paroles, un grand cri s'élève ; le tumulte ne se borne plus au forum, il se répand dans toute la ville […]. Partout la sédition rencontre des soutiens ; les rues sont remplies de troupes nombreuses qui se rendent, en poussant des cris, au forum. » Le peuple romain, qui est informé des modèles démocratiques grecs, réclame des droits. Réuni dans l’urgence, le Sénat est divisé, certains prônant la répression brutale, d’autres la conciliation. L’autorité tente d’enrôler les jeunes dans l’armée, mais « la foule clame qu'il n'est plus possible de tromper le peuple ; que les soldats veulent combattre pour une patrie, pour des concitoyens, non pour des tyrans. » A la fin, la plèbe obtient gain de cause.

Oppression, misère, manifestations, révolution : l’histoire s’est répétée cent fois, et bien avant Facebook.

Tite-Live (59 avant - 17 après J.-C.), Histoire romaine, livres I et II.

 

Rétroviseur 24,  24heures,  29.01.11

Le soupçon généralisé consume notre société! Lysias, reviens!

Il y a forcément quelques individus qui abusent de l'aide sociale ou de l'assurance-invalidité. C'est mathématique, c'est humain, c'est ainsi dans tous les domaines. D'aucuns en tirent parti pour instaurer le soupçon généralisé et ne parler que d'abus, jusqu'à instiller dans les mentalités l'équation «assisté = profiteur». Comme si l'on était de gaieté de coeur à l'aide sociale ou à l'AI.

Les caisses fliquent les assurés, guettés sur Facebook ou espionnés chez eux, comme ce blessé privé d'allocation parce qu'un détective l'a filmé en train de ramasser des feuilles dans son jardin (Vigousse du 21 janvier dernier).

Ce genre de débat agitait déjà l'Athènes antique, qui versait une petite pension aux indigents et aux invalides. Dénoncé pour abus, l'un d'eux fut défendu par le grand avocat Lysias, qui plaidait souvent en endossant le rôle de l'accusé: «Selon l'accusateur, je n'ai pas droit à l'allocation que je reçois de la cité, parce que je ne suis pas infirme […]. La preuve, d'après lui, c'est que je monte à cheval. » Lysias poursuit son argumentation: «Dans mon triste état, j'ai trouvé là le moyen de faire plus facilement les courses un peu longues […]. Et parce que je monte des chevaux d'emprunt, je serais valide? Si je marche avec deux bâtons au lieu d'un, il n'en tire pas argument contre moi ! Or c'est pour la même raison que j'emploie béquilles et cheval.» Et l'avocat de conclure: «La cité nous a voté cette pension, estimant que les chances de bonheur et de malheur sont égales pour tous. Ne serais-je pas le plus infortuné des hommes si, déjà privé par mon infirmité des biens les plus importants, je me voyais enlever par le fait de mon accusateur le secours que la cité m'a accordé, dans sa sollicitude pour les pauvres diables comme moi? Non, citoyens du Conseil, ne votez pas cela. Quant à lui, il apprendra, à l'avenir, à ne pas attaquer de plus faibles que lui.»

Moralité: ceux qui voient des abus partout et veulent rogner les prestations devraient aller se faire voir chez les Grecs !

Lysias (vers 440 - vers 380 av. J.-C. ), 24, Pour l'invalide.

Rétroviseur 23,  24heures,  11.12.10

Le mari trompé et l’amant asphyxié

« Il tue son épouse à la hache » ; « Assassinée par son ex » ; « Cocu, il poignarde son rival »… Bientôt plus un jour sans qu’un titre de ce genre racole sur les manchettes de certains journaux. C’est bien connu, le fait divers sanglant est vendeur ; et il l’est plus encore s’il comporte une dose de passions intimes propre à flatter le voyeurisme. Puisque ça marche, suivons la tendance : drame de l’adultère à Rome, vers 170.

« La femme d'un ami foulon, qui pourtant semblait sérieuse, […] se prit de passion pour un amant, multipliant les rendez-vous clandestins, chez elle, en l’absence du mari. Un jour aux bains, celui-ci me convie à dîner. Au moment où nous rentrons, sa femme est en train de faire l’amour avec son amant. Surprise par notre arrivée inopinée, elle improvise aussitôt un moyen de s'en tirer : elle cache prestement le jeune homme sous une de ces cages d'osier dont les montants se rejoignent au sommet, et qui servent à étendre les étoffes pour les blanchir à la fumée de soufre. L'amant étant en lieu sûr (du moins le croit-elle), elle se met à table en faisant semblant de rien.

Mais l’individu, soumis à des vapeurs de soufre âcres et puantes, se sent défaillir. Et comme de juste, ce nuage suffocant et virulent le fait éternuer. Entendant ce bruit derrière sa femme, le mari croit d'abord que c’est elle qui éternue, et il lui adresse le souhait d'usage. Mais les bruits se répétant, il soupçonne enfin la vérité : repoussant d'un coup la table, il soulève la cage et en extirpe l'homme haletant, qui respire à grand peine. Cramoisi de colère, il réclame une épée. Il aurait égorgé le jeune homme si je n'avais modéré son ardeur en lui signalant que son rival, de toute façon, ne tarderait pas à succomber au soufre. S’étant rendu à l’évidence, il transporta le personnage, déjà plus qu’à moitié mort, dans une ruelle voisine. » S’il y avait eu à l’époque des quotidiens à grand tirage, nul doute qu’ils auraient fait leurs choux gras d’une histoire aussi… sulfureuse !

Apulée (vers 125 – 170 après J.-C.), Les Métamorphoses IX, 24-25.

 

Rétroviseur 22,  24heures,  13.11.10

Caprices de princes

Après l’incendie de Rome en 64, l’empereur Néron mandata deux architectes, Severus et Celer, avec mission de lui bâtir une résidence à sa mesure – ou à sa démesure. A coups de crédits pharaoniques, la fameuse domus aurea (maison dorée) fut ainsi aménagée au cœur de la cité, sur une surface si immense que le peuple ricanait : « Rome deviendra sa maison ; citoyens, émigrez à Veies ! A moins que cette maudite maison n’englobe aussi Veies ! » Veies est à 15 km de Rome !

Etalage inouï de luxe, d’audaces esthétiques et de prouesses techniques, la domus aurea « était si vaste qu'elle renfermait des portiques à trois rangs de colonnes longs de mille pas, une pièce d'eau semblable à une mer, entourée de maisons formant des villes, et par surcroît une étendue de campagne, avec cultures, vignobles, pâturages et forêts, peuplées d’une multitude d'animaux domestiques et sauvages. Dans l'édifice, tout était couvert de dorures, rehaussé de pierres précieuses et de coquillages à perles. Le plafond des salles à manger était fait de tablettes d'ivoire mobiles et percées de trous, afin qu'on pût répandre d'en haut sur les convives soit des fleurs, soit des parfums. » Comble de la frime, « la salle à manger principale, ronde, était tournante : elle était en perpétuelle rotation sur elle-même, jour et nuit, comme le monde. » Un rien bling-bling, tout de même. D’ailleurs Vespasien, en 69, démantela le tout et restitua l’espace au public.

En 2010, alors qu’il multiplie les restrictions budgétaires, Sarkozy 1er se dote d’un fastueux avion présidentiel à 180 millions d’Euros, avec chambre à coucher (lit double king size, dressing, salle de bain), cuisine, salle d’opération et bureaux, parois tapissées de cuir de Cordoue (un caprice de Madame), et tous les gadgets dernier cri, le tout surclassant l’Air Force One américain. Et les Français, comme le reste du monde, de se répandre en sarcasmes sur cette esbroufe aussi mégalomane que ruineuse. Il devrait se méfier, Sarkozy : Néron a mal fini !

 

Suétone (vers 70 – vers 130), Vie des douze Césars, Néron, 31.

 

Rétroviseur 21,  24heures,  16.10.10

Bourbiers

52 avant J.-C. Depuis six ans, Jules César et ses légions tentent de contrôler la Gaule celtique. La supériorité militaire romaine est écrasante : des fantassins aguerris, une redoutable cavalerie, des frondeurs des Baléares, des archers crétois ; un armement individuel performant, de l’artillerie, des tours mobiles, des béliers et autres machines de guerre ; des espions efficaces, des troupes du génie capables de jeter un pont sur le Rhin, de fortifier une colline ou de saper les remparts adverses. En bataille rangée ou lors des sièges, les Romains infligent aux Gaulois, presque à chaque fois, de lourdes défaites.

En revanche, les légions sont vulnérables face à la guérilla. Menées par des ennemis très mobiles et connaissant parfaitement le terrain, les embuscades et les attaques ciblées déciment les unités d’intendance et les cohortes romaines isolées.

Mais en 52, César semble contrôler la situation. Il a vaincu plusieurs peuples, rallié certains autres, placé à leur tête des chefs gaulois proromains. Car il ne vise aucunement à occuper durablement la Gaule ; il veut la «pacifier» en y instaurant un régime inféodé, gage de sécurité et de fructueux négoce.

Après six ans de campagnes, il a presque réussi. Mais les Romains, trop ignorants de la culture gauloise, ont aligné les erreurs psychologiques : promesses bafouées, vexations, exactions. César, qui s’affiche clément et humain, a lancé contre des insurgés des représailles sanglantes. Villages brûlés, récoltes détruites, bétail massacré. Quelquefois, «les soldats n'épargnèrent ni les vieillards, ni les femmes, ni les enfants.» Un chef gaulois rebelle a été publiquement soumis à l’infamant supplice des verges et décapité. L’effet est désastreux : la confiance est rompue, les pactes tombent, les plus fidèles alliés de Rome changent de camp, et bientôt César ne contrôle plus rien. C’est le soulèvement général.

2010 après J.-C. Depuis neuf ans, les Etats-Unis et leurs alliés tentent de contrôler l’Afghanistan. Etc, etc.

Jules César (100 - 44 avant J.-C.), Guerre des Gaules.

 

Rétroviseur 20,  24heures,  18.09.10

Violence dans la nuit

« Un ivrogne, un violent qui par hasard n'a encore assommé personne, se sent coupable. » Insomniaque, « il se tourne sur le ventre, puis sur le dos ; mais non, pas moyen de trouver le sommeil. Il y a des individus qu’une bagarre fait dormir ! »

Même saoul, le voyou n’est pas fou : « Malgré l'effronterie de son âge et la chaleur du vin pur, il se garde bien de s’en prendre à qui porte un manteau écarlate, aux longues files de compagnons sous la lumière des torches ou d’une lampe de bronze. Mais moi qui, d’habitude, n'ai au retour que la lune ou la faible lueur d'une chandelle, dont j'épargne la mèche, je ne l'impressionne pas. Voici comment débute cette malheureuse dispute (pour autant qu’on puisse parler de dispute quand on me cogne et que j'encaisse) : il se dresse tout à coup devant moi et m'ordonne de m'arrêter ; il faut bien obtempérer, que faire d’autre quand on est coincé par un enragé, de surcroît plus costaud ? – D'où tu viens ?, hurle-t-il ». Suivent les injures : « – Chez qui tu t’es bourré de pinard et de fèves ? Quel cordonnier a mangé avec toi des poireaux hachés et du museau de mouton bouilli ? Tu ne réponds pas ? Tu parles ou tu te prends un coup de pied ! Où tu crèches ? Dans quelle synagogue tu te terres ?

Oser dire quelque chose ou reculer sans un mot, ça revient au même : ces furieux tapent tout autant, avant de vous faire casquer votre argent. Un homme pauvre n'a qu'une issue : molesté, il prie ; tabassé à coups de poings, il supplie qu'on le laisse repartir avec quelques dents. »

A lire Juvénal, l’insécurité sévissait déjà à Rome vers 120 après J.-C. Une génération plus tard, le poète Apulée confirme : « Veille à rentrer du dîner assez tôt ! Il y a une bande de jeunes fous de très bonne famille qui s'attaquent à la tranquillité publique. » Bizarre, non ? Il n’y avait pourtant ni jeux vidéo violents, ni perte des valeurs familiales. Ni Rroms. Et il n’y avait personne pour exploiter et entretenir la peur en accusant systématiquement les étrangers.

Juvénal, Satires, III, 278-301. Apulée, Métamorphoses, II, 18.

Rétroviseur 19,  24heures,  19.06.10

Philippidès, Polykritos, Micheline

Enlevés par des brigands ou des pirates, capturés à la guerre ou retenus en otages, les captifs en pays étranger étaient déjà, dans l'Antiquité, au coeur de vastes enjeux politiques. Et ceux qui parvenaient à obtenir leur retour au pays (avec ou sans rançon) étaient couverts d'honneurs.

Etudiés par Anne Bielman, de l'Université de Lausanne, plusieurs décrets de cités grecques, gravés dans le marbre, célèbrent des personnages ayant oeuvré à la libération de prisonniers. En 283-282 av. J.-C., les autorités démocratiques d'Athènes saluent ainsi l'efficacité diplomatique de leur concitoyen Philippidès - homme politique et poète comique ! - auprès du roi thrace Lysimaque: «Attendu que Philippidès [...] présenta au roi la situation de ceux qui étaient prisonniers, qu'il obtint leur libération [...]; attendu qu'il intercéda également pour qu'on libérât tous les citoyens détenus en Asie [...]; attendu qu'il ne cesse de se montrer utile envers tous les Athéniens», le Conseil propose à l'assemblée du peuple de lui décerner l'éloge, plus une couronne d'or, plus une statue de bronze au théâtre.

Quelques années plus tard, la cité d'Erythrée rend hommage à un nommé Polykritos: «Il remplit au mieux et dans l'intérêt du peuple toutes les missions pour lesquelles il fut désigné; il se chargea notamment de l'ambassade auprès des barbares en vue de ramener dans la cité tous les citoyens qui avaient été pris en otages, et parvint non seulement à récupérer ces otages et à les conduire au pays, mais aussi, en versant une rançon, ceux des citoyens qu'il vit prisonniers.» Pour lui aussi, éloge public, couronne d'or et statue de bronze.

Le retour de Max Göldi vaudra-t-il de tels honneurs à la citoyenne Micheline ? Plutôt pas : les critiques fusent sur deux ans de cafouillage et le rapport parlementaire sur la gestion de la crise libyenne ne sera sans doute pas tendre. A la fin de cette histoire, Micheline pourrait bien avoir, en fait de couronne d'or et de statue de bronze, la gueule de bois.

Retour à la liberté. Libération et sauvetage des prisonniers en Grèce ancienne, Anne Bielman, Etudes épigraphiques 1, Université de Lausanne, 1994.

Rétroviseur 18,  24heures,  15.05.10

Plan de rigueur

Au pouvoir de 54 à 68 ap. J. -C. , Néron nourrissait une passion pour les arts. Mais c'est dans l'art de dépenser l'argent public qu'il était le plus doué. Féru d'architecture et d'esthétisme, il lança, après l'incendie de 64, un vaste programme d'urbanisme pour rebâtir Rome à la mesure de ses rêves. Il créa au coeur de la ville un immense parc avec lacs, vignes et bois et il y érigea sa Maison Dorée, un palais fantastique doté, entre autres luxes, d'une salle à manger tournante. Il engagea des chantiers civils titanesques, comme le percement du canal de Corinthe et celui d'un autre canal entre la Campanie et Rome. Et, comme il se montrait aussi généreux avec le peuple, il était très aimé des foules. (Son actuelle réputation est due à ses détracteurs ultérieurs.)

Résultat, Néron laissa à sa mort un trésor public exsangue. Et c'est à Vespasien, devenu empereur en 69, que revint la lourde tâche d'assainir les finances : «Le trésor et le fisc étaient si pauvres qu'il dut recourir à la rapine; il déclara, dès son avènement au trône, que l'Etat avait besoin de 4 milliards de sesterces pour subsister.» Place donc à la rigueur : Vespasien rétablit des impôts oubliés et en inventa de nouveaux. Notamment une taxe sur les juifs et une autre, très illustre, sur l'urine. A son fils Titus qui lui reprochait une telle mesure, Vespasien fit humer de l'argent ainsi engrangé, démontrant qu'il «n'a pas d'odeur». Il faut dire que le père de Vespasien était banquier, en Helvétie qui plus est.

Bien sûr, le peuple maudissait ce plan d'austérité, d'autant que l'empereur était par ailleurs prodigue envers les artistes ou la classe sénatoriale, et qu'il lança de coûteux chantiers comme le Colisée.

Moralité: à Rome autrefois comme en Grèce aujourd'hui, quand le pouvoir vide les caisses, c'est toujours la population qui trinque. Après le tour de vis fiscal, le gel des salaires, le recul de l'âge de la retraite et autres mesures draconiennes, si on imposait aux Grecs une taxe sur l'urine ?

Note: Suétone (70-vers 130?), Vie des douze Césars, Vespasien 16 et 23.

Rétroviseur 17,  24heures,  17.04.10

Rumeurs noires

Carla Bruni cocufie allègrement son Nicolas ; les inconscients du CERN vont provoquer la fin du monde ; les nombreux tremblements de terre de ces derniers mois n’ont rien de naturel mais ont été déclenchés par le HAARP, une arme secrète américaine. Il paraît que c’est vrai.

Les rumeurs galopent dans le village global, et même les autorités s’y mettent. Ainsi 99,5% (pas moins) des requérants nigérians sont des délinquants, selon le directeur de l’Office fédéral des migrations, Alard du Bois-Reymond. Ses collègues du CICR, à Zagreb en 1993, le surnommaient déjà « Alard ment »

Il y a 2000 ans, le poète Ovide avait déjà tout dit sur la rumeur, qu’il personnalisait et dont il imaginait le palais : « Au coeur de l'univers, il est un endroit entre terres, mers et ciel, aux confins du triple monde : on y voit tout, partout, quelle que soit la distance, et une voix pénètre dans toutes les oreilles ouvertes. C’est Rumeur qui possède cette demeure […] ; elle l'a pourvue d'accès innombrables et de mille ouvertures dans les toits ; aucune porte ne ferme les entrées. Nuit et jour, c'est ouvert ! » On dirait qu’Ovide connaissait déjà Internet.

La maison de Rumeur, poursuit-il, « est toute de bronze résonnant ; frémissante, elle fait écho aux voix et répète ce qu'elle entend. Pas de repos là-dedans, nulle part du silence. […] Il y en a qui viennent, en troupe frivole, il y en a qui vont : mêlés à la vérité, les mensonges circulent et des milliers de bribes de cancans confus s'envolent. Certaines conversations remplissent les oreilles oisives, d'autres colportent ailleurs les racontars, le mensonge grandit, et chacun ajoute quelque chose de neuf à ce qu'il a entendu. On y trouve Candeur, Erreur irréfléchie, Vain Plaisir, Craintes sans fondement, Dispute toute jeune et Chuchotements sans auteur. »  Ovide, il faut le préciser, possédait des pouvoirs occultes : c’était un medium, qui pouvait se projeter dans le futur et lire la presse de boulevard du 21e siècle. Il paraît que c’est vrai.

Ovide (43 av. J.-C. – 17 ap. J.-C.), Métamorphoses, XII, 39 -63

 

Rétroviseur 16, 24heures, 13.03.10

Dernier stade

Moins de trois ans après son inauguration, le tout nouveau stade zurichois du Letzigrund (120 millions de francs d'argent public) a dû fermer en catastrophe, des fissures étant apparues près des supports du toit.

Ennuyeux, pour un édifice dont l'architecture novatrice avait été glorifiée sans retenue. Piteusement étayé par des piliers de fortune, le stade a rouvert dimanche dernier, mais le problème technique n'est pas résolu : surcoûts, complications et polémiques en vue. Avec les édifices de ce type, les déboires architecturaux et financiers relèvent, semble-t-il, d'une très vieille tradition.

En 112 après J.-C., Pline le Jeune, gouverneur en Bithynie (Turquie), écrivait à l'empereur Trajan*: «A Nicée, on a lancé la reconstruction d'un gymnase qu'un incendie avait détruit, mais sur des plans bien plus importants et plus vastes. La dépense est déjà élevée, et je crains que ce soit sans grande utilité: le plan est mauvais, c'est une oeuvre sans unité. Et l'architecte, sans doute un rival de celui qui a commencé le travail, affirme que les murs, bien que larges de 22 pieds, ne peuvent supporter les charges qu'on leur impose.»

Et Pline de relater un autre fiasco du même genre, toujours à Nicée (Iznik): «Le théâtre, dont la construction est presque achevée, a déjà englouti, à ce qu'on dit (car les comptes ne sont pas encore apurés), plus de 10 millions de sesterces. Et j'ai bien peur que ce soit pour rien: de larges fissures le font s'affaisser et s'entrouvrir. La cause? Soit l'humidité et l'inconsistance du terrain, soit le manque de résistance et la friabilité de la pierre. La question est de savoir s'il faut achever l'édifice ou le laisser tel quel, ou, mieux encore, l'abattre. Car les appuis et les soutènements dont à tout moment on l'étaie me paraissent moins solides que coûteux.»

Coauteure du Letzigrund, l'architecte Marie-Claude Bétrix a déclaré, en 2009, que son ouvrage s'approprie d'une certaine manière les qualités du théâtre antique. D'une certaine manière, c'est réussi.

Note: *Pline le Jeune (61-114), Correspondance, X, 39.

Rétroviseur 15, 24heures, 13.02.10

Un romantique de la Rome antique

«Je te déconseille d’offrir à ta belle des cadeaux somptueux; qu’ils soient au contraire modestes, mais bien choisis et offerts habilement», suggérait le poète Ovide aux amoureux transis, dans son délicieux petit traité sur L’art d’aimer. Quelques fruits de saison, par exemple des raisins ou des châtaignes, font parfaitement l’affaire. «Tu pourras toujours dire qu’ils viennent de ta propriété à la campagne, même si tu les as achetés au marché», précisait cet expert en séduction.

Les cadeaux, de toute façon, c’est trop facile: «On a toujours beaucoup d’esprit quand on n’a qu’à dire, autant de fois qu’on veut, «Tiens, accepte ceci.» Bien sûr, le procédé s’avère généralement efficace, mais il est aussi très convenu, et il suppose en outre certains moyens matériels. «Moi, j’ai aimé en étant pauvre; et, ne pouvant offrir de cadeaux, j’offrais de belles paroles.» Après tout, c’est bien là ce qui compte réellement lorsqu’il s’agit de sentiments: «De douces paroles, voilà l’aliment du tendre amour. […] Présente-toi à elle avec des caresses câlines et des mots qui charment son oreille.»

Mais les temps sont difficiles et la concurrence est rude pour les vrais romantiques, déplore Ovide non sans lucidité: «Devrais-je te conseiller d’adresser aussi à ta bien-aimée des poèmes d’amour? Je ne sais pas. Car la poésie, hélas, n’est guère en honneur. On en fait l’éloge, d’accord, mais ce sont de grands présents qu’on réclame.» Et d’ajouter avec dépit que si l’illustre Homère en personne, avec tout son cortège de Muses, se présentait les mains vides chez l’élue de son cœur, il serait flanqué à la porte sans autre forme de procès. En revanche, «pourvu qu’il soit riche, le pire des rustres peut séduire. Notre époque, décidément, est vraiment l’âge d’or: c’est l’or qui procure les plus grands honneurs, et c’est aussi l’or qui procure l’amour…»

Pauvre Ovide! Qu’est-ce qu’il écrirait aujourd’hui s’il devait subir la triste et débile machinerie commerciale de la Saint-Valentin?

Ovide (43 av. J.-C. – 17 ap. J.-C.), L’art d’aimer, II.

 

Rétroviseur 14, 24heures, 16.01.10

Révoltes siciliennes

Rien de nouveau sous le soleil de la Sicile. Début 2010 à Rosarno, les immigrés «clandestins» africains se rebellaient. Importés en masse par de grands propriétaires mafieux pour la récolte des mandarines, astreints 12 heures par jour à un labeur épuisant payé 1 Euro de l’heure, parqués par centaines dans des hangars sans eau ni électricité, maltraités, en butte aux agressions racistes des indigènes, ils ont osé dénoncer leur sort, déclenchant ainsi des heurts violents. Bien des Italiens (et, espérons-le, les consommateurs européens d’agrumes) ont été contraints de voir la sordide réalité de cette main d’œuvre agricole misérable et surexploitée, qui effectue dans des conditions que personne n’accepterait un travail dont personne ne veut.

Bien avant, en 139 avant notre ère, la Sicile avait connu une situation comparable : «la province de Sicile est une contrée fertile où les citoyens romains possédaient de vastes domaines. Ils y entretenaient de nombreux esclaves indispensables à la culture de leurs terres, et ces cultivateurs à la chaîne furent la cause de la guerre», relate l’historien Florus. Diodore précise : «soumis à de rudes travaux, ces esclaves recevaient très peu de soins ; ils étaient à peine nourris et vêtus. […] Enfin, pressés par la misère et accablés de coups, ils trouvèrent leur vie intolérable.» S’ensuivit une révolte sanglante, emmenée par un esclave syrien nommé Eunos. Quittant leurs casernes-prisons, les insurgés dévastèrent la région durant sept ans, avant d’être assiégés, affamés et vaincus sans gloire par les légions romaines.

Bien sûr, dans la Sicile d’aujourd’hui, les immigrés africains employés aux travaux agricoles ne sont pas, juridiquement, des esclaves. Mais humainement, la réalité est-elle si différente ? Laissons conclure Diodore : «celui que le hasard a fait naître dans une basse condition laisse volontiers aux autres les honneurs et la gloire ; mais il se révolte contre les despotes si on lui refuse l'humanité à laquelle il a droit.»

Florus (vers 70 – vers 140 après J.-C.), Abrégé d’histoire romaine, III, 20-21. Diodore de Sicile (vers 90 – vers 30 avant J.-C.), Histoire universelle, 34.

 

Rétroviseur 13, 24heures, 05.12.09

Suisse exotique

Mitlödi, canton de Glaris. Deux heures sonnent au clocher de l’église. Effrayés, les pigeons s’égaillent sur les tuiles. Urs finit ses röstis et son verre de rouge. Le chat ronronne sur le rebord de la fenêtre, contemplant par-dessus les géraniums le verger de cerisiers et de pommiers, où paissent deux ânes. Ruedi sirote un café-Pflümli, et s’allume un Stump en ouvrant le journal. S’il a voté pour l’interdiction des minarets, c’est qu’il tient à préserver «l’identité suisse».

Dans son décor pourtant, tout vient de l’étranger. L’église, les pigeons, les tuiles, le verre, le vin, le chat, la vitre, les cerisiers, les pommiers, les ânes, la prune, la lecture et l’écrit : autant d’éléments exotiques, d’origine méditerranéenne et orientale, introduits dans nos régions au temps des Romains. Tout comme la maçonnerie, la brique, la plomberie, l’arche, la voûte, la truelle, le fil à plomb, le clou, les conduites et les égouts, le moulin hydraulique, les orgues, le dé à jouer, le noyer, le châtaignier, le pêcher, le figuier, la betterave rouge, le céleri, le fenouil, la sarriette, la coriandre, l'aneth, l'ail… «L’identité» indigène helvète ignorait tout cela avant les apports étrangers et le métissage d’époque romaine.

L’alambic, pour distiller le Pfümli, est venu des Arabes, au Moyen Âge. Comme les oranges, le coton, les épinards, le sirop, le riz, le sucre, le safran, le chiffre, le zéro… Et plus tard, le café.

Les pommes de terre des röstis sont d’origine américaine, de même que le tabac du cigare. De même aussi que le cacao de notre chocolat, le maïs, l’avocat, l’ananas, la tomate…

Et les géraniums viennent d’Afrique australe.

Conclusion évidente : dans la réalité, «l’identité suisse» est fondée sur les nouveautés venues d’autres horizons et sur le métissage multiculturel. Et dès lors, Ruedi et tous ceux qui croient défendre cette identité en rejetant les ajouts étrangers ne respectent ni l’histoire ni la culture locales. Ce sont eux, en définitive, qui sont mal intégrés !

 

Rétroviseur 12, 24heures, 07.11.09

Rapt lybien et otages helvètes

Il était une fois, en Thessalie (Grèce), une nymphe d’une grande beauté, qui ne partageait pas le goût de ses pareilles pour la broderie : «armée de ses flèches d'airain et d'un glaive meurtrier, elle aimait combattre et occire les bêtes féroces des bois». Un jour, Apollon la vit aux prises avec un lion, qu’elle dompta à mains nues. Devant tant de féminine ardeur, le dieu tomba éperdument amoureux : il enleva illico la jeune chasseresse et l’emmena en char céleste sur un lointain rivage, où elle fonda un royaume.

La belle se nommait Cyrène. La cité qu’elle créa prit son nom, et son royaume devint la Cyrénaïque. Aujourd’hui, on dit la Lybie. Un pays qui selon la mythologie est donc né d’un rapt. C’est dire si la tradition de l’enlèvement y est ancrée.

Mais l’Helvétie, question prise d’otages, n’est pas en reste. Passons du mythe grec à l’histoire romaine, en 58 avant J.-C. Quittant le Plateau suisse, nos ancêtres les Helvètes tentent d’émigrer vers l’Ouest de la Gaule. Jules-César les bloque d’abord à Genève, en détruisant le pont sur le Rhône. Ne pouvant forcer le passage, les émigrants longent alors la rive nord puis débouchent dans la plaine de la Saône. Alors qu’ils sont en train de la franchir, César les attaque par surprise et massacre un quart d’entre eux. On négocie. Le chef helvète Divico dit à César : «si Rome fait la paix avec nous, nous irons nous établir où elle le voudra. Mais si elle persiste à vouloir la guerre» …elle l’aura ! César : «si les Helvètes livrent des otages en garantie de leurs promesses, […] je consens à conclure la paix.» Là, Divico se fâche : «des otages ? Nous tenons de nos pères la coutume d’en prendre, des otages ! Pas d’en donner !» Ce sera donc la guerre, la bataille de Bibracte puis le retour forcé et définitif de nos aïeux en Suisse actuelle. Ainsi cette antique question d’otages a-t-elle tracé le destin national. Raisonnablement, entre un pays né d’un rapt et un autre fondé sur une histoire d’otages, on devrait pouvoir s’entendre !

Pindare (518-438), Pythiques, 9 ; Jules-César (100-44), Guerre des Gaules, I, 12-14.

 

Rétroviseur 11, 24heures, 10.10.09

Histoires de boucs

Année 19 après J.-C. : quatre juifs de Rome escroquent une aristocrate qu’ils ont convertie au judaïsme. Le mari les dénonce à l’empereur Tibère, et toute la population juive de la ville est expulsée. En 41 ou 49, Claude remet ça : bannissement général des juifs, dont une petite frange, paraît-il, crée de l’agitation. Les juifs sont alors de parfaits boucs émissaires. La foule romaine voit en eux des «ennemis du genre humain» : ils ne participent pas à la vie civique et militaire, ils refusent les cultes officiels. Mal intégrés, quoi.

En 64, Rome est dévastée par un incendie sans nul doute accidentel. Mais comme toujours en pareil cas, la population victime a besoin de coupables. Certains, réflexe éternel, accusent le pouvoir, donc Néron. Lequel, raconte Tacite, détourne l’attention sur des gens «détestés pour leurs abominations et que le vulgaire nommait chrétiens. […] Cette exécrable superstition se répandait en Judée, sa source, mais aussi à Rome où affluent toutes les infamies…» On s’en prend donc aux chrétiens, «moins convaincus d'incendie que de haine pour le genre humain». Normal : les chrétiens d’alors sont presque tous juifs, et personne ne s’attarde à de subtils distinguos. Les boucs émissaires sont condamnés en bloc et dès lors, tout chrétien est criminel ; c’est la base légale des persécutions futures.

Il faut attendre 311 pour que Galère décrète l’indulgence, «de sorte qu'à nouveau les chrétiens puissent être chrétiens et rebâtissent leurs lieux de réunion, pour autant qu'ils ne contreviennent pas aux lois.» Constantin confirme en 313, restituant et protègeant les églises «comme il convient à notre temps de paix, afin que chacun ait la liberté de pratiquer le culte de son choix.»

2009 après J.-C. : derrière l’idée d’interdire les minarets, l’UDC (dont la mascotte est un bouc), s’en prend à un autre groupe religieux. Mais ça n’a sûrement aucun rapport : ça voudrait dire qu’on remâche de vieux schémas qui retardent de 2000 ans… ça paraît impensable. Non ?

Tacite (55-120), Annales XV, 44 ; Lactance ( ? - 323), De mortibus persecutorum I, 34 ; Edit de Milan (juin 313) 6-7.

 

Rétroviseur 10, 24heures, 12.09.09

Zéro de conduite

«Un professeur agressé par un élève». «Un instituteur tabassé dans le préau». Les titres de ce genre foisonnent dans les médias, autour d’une violence scolaire qui inquiète les pédagogues. Il y a de quoi, quand certains entrent en classe enseignants et en ressortent en saignant. Sans compter que certains parents d’élèves se montrent aussi brutaux que leur progéniture.

Pour d’aucuns, ces faits déplorables signalent une dérive typiquement moderne. Et la politique, bien sûr, s’en empare : les uns y voient le fruit pourri d’une école et d’une société trop laxistes ; d’autres, le résultat d’un afflux d’élèves étrangers. Ben voyons.

Une nouveauté, la violence scolaire ? Chez Plaute, il y a 2200 ans, c’en était déjà une : «Mais aujourd’hui, un marmot qui n’a pas sept ans, si on a le malheur de le toucher, vous fend le crâne de son précepteur avec sa tablette. Va-t-on se plaindre auprès du père ? Le père ne manque pas de dire à son gosse : "tu es bien de notre sang, et tant que tu sauras te défendre face aux injures, tu le resteras !" Et c’est le maître qu’on menace : "dis donc, vieux crétin, ne t’avise pas de toucher à cet enfant parce qu’il a montré du caractère !" Et le précepteur s’en va, la tête bandée d’un linge huilé, comme une lanterne…»

Six siècles plus tard, Augustin d’Hippone, alias Saint-Augustin, dénonçait : «le laisser-aller des étudiants est affreux, incontrôlé : ils surgissent grossièrement et, tels des déments, perturbent l'ordre établi par les maîtres dans l'intérêt des élèves. Ils commettent des outrages, d'une bêtise crasse, que les lois devraient punir si l'usage ne les protégeait pas [...] Ils pensent agir impunément alors que l'aveuglement même de leur comportement les sanctionne».

Manifestement, la violence scolaire n’a rien de très nouveau. Elle régnait déjà aux temps où la discipline et les châtiments corporels étaient de règle. Et ceux pour qui elle découle forcément de l’éducation et de la société modernes devraient peut-être retourner à l’école...

Plaute, Les deux Bacchides (vers 200 avant J.-C.) Saint Augustin, Confessions V, 8, (396-398 après J.-C.)

 

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Le problème d’être devin en vain

Tarquin, dégage !

Le soupçon généralisé consume notre société !

Le mari trompé et l’amant asphyxié

Caprices de princes

Bourbiers

Violence dans la nuit

Philippidès, Polykritos, Micheline

Plan de rigueur

Rumeurs noires

Dernier stade

Un romantique de la Rome antique

Révoltes siciliennes

Suisse exotique

Rapt lybien et otages helvètes

Histoires de boucs

Zéro de conduite

Rouge sur blanc…

Pandémie antique

Dernier stade...

Pauvres riches !

Les jeux du cirque (blanc)

Obama imperator

Attis le ressuscité

Comment tromper le peuple tout en finesse

Quand les Juifs pratiquaient l’Intifada

 

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Rétroviseur 09, 24heures, 13.06.09

Rouge sur blanc…

Tout fout le camp. Depuis peu, les industriels européens du vin déversent des copeaux dans les cuves en inox pour contrefaire l’arôme des crus élevés en fûts de chêne. Une pratique très répandue chez les producteurs chiliens et californiens, et qu’il était donc urgent d’imiter : il fallait rester compétitifs sur le marché mondial, voyons.

Plus récemment, la filière du pinard, jamais à court d’idées-bricolage, a concocté un projet du même tonneau : fabriquer du «rosé» en mélangeant du blanc et du rouge. Là aussi, l’exemple vient de loin, en l’occurrence des grands domaines australiens, sudafricains et américains ; et là encore les impératifs économiques exigent que tout le monde suive.

Mais c’était compter sans la fronde de vignerons européens qui manifestement ne comprennent rien au progrès : pour eux, tradition et qualité priment sur les avantages concurrentiels d’une camelote standard trafiquée. A force de hurler à l’hérésie, ces teigneux viennent d’obtenir gain de cause contre le lobby de la vinasse industrielle : Bruxelles n’autorisera pas le faux rosé, pour l’instant du moins.

A l’époque romaine déjà, les grands enjeux commerciaux n’avaient pas épargné le divin nectar. Avec les immenses marchés d’exportation ouverts par les conquêtes apparut le vin en vrac à vil prix, transporté par bateaux-citernes, ainsi que divers bidouillages. Pour coller aux goûts de la clientèle, raconte Pline l’Ancien, des producteurs marseillais indélicats trafiquaient leurs vins pour les «vieillir» artificiellement : «on les maquille à la fumée dans des fabriques. Quand ce n’est pas avec des herbes ou des ingrédients nocifs ! Les négociants usent même de l’aloès pour en modifier le goût et la robe». Et aussi: «on le teinte avec des colorants, comme un fard pour le vin, lequel s’en retrouve épaissi. Tant de poisons pour l’amener à plaire, et on s’étonne de sa nocivité !».

Hier comme aujourd’hui donc, le vin et les juteux intérêts commerciaux font parfois un curieux mélange. Rien ne bouge.

Pline l’Ancien (23-79 après J.-C.), Histoire naturelle, XIV.

 

Rétroviseur 08, 24heures, 16.05.09

Pandémie antique

Ayant semé la panique en une des journaux, la grippe porcine et son H1N1 hideux semblent faire, pour l’heure, plus de peur que de mal. En attendant les prochaines alertes à la pandémie (bronchite du saumon, fièvre du cheval, oreillons du lapin, sait-on jamais), on peut évoquer les antiques nouvelles maladies. Les contagions soudaines d’origine exotique ne sont pas le tribut exclusif du monde moderne et de ses aberrants élevages industriels... Ainsi, relate Pline l’Ancien, a-t-on vu vers 50 après J.-C. l’arrivée «de maladies jusqu'alors inconnues non seulement en Italie, mais en Europe». La plus spectaculaire était une affection cutanée qui desquamait le visage : «parce qu'elle attaquait d’abord le menton, on l’appela en latin mentagra, d'abord par plaisanterie tant la foule aime se moquer des misères d'autrui. Chez bien des malades elle envahissait la face toute entière, ne laissant indemnes que les yeux, puis descendait aussi sur le cou, la poitrine et les mains, dont la peau se couvrait d’une affreuse dartre en petites plaques».

Probable effet collatéral de la globalisation liée à l’extension de l’empire, «ce fléau n'avait existé ni chez nos ancêtres ni chez nos pères, et c'est au milieu du règne de Claude qu'il s'introduisit en Italie, importé d'Asie […]. Il toucha la classe dominante où la maladie se propagea rapidement, surtout par le baiser. Nombre de ceux qui se résignèrent à subir un traitement n'obtinrent que des cicatrices encore plus hideuses que le mal : on le soignait en effet avec des caustiques, et si les chairs n'étaient pas brûlées jusqu'à l'os, la répugnante affection récidivait».

Si l’industrie pharmaceutique n’existait pas, certains firent tout de même leur beurre de cette épidémie : «arrivèrent alors d'Egypte, foyer de telles maladies, des médecins spécialisés dans ce seul traitement, et qui en tirèrent grand profit. On sait par exemple que Manilius Cornutus, légat de la Province d'Aquitaine, s'engagea à payer 200'000 sesterces pour se faire soigner.»

Pline l'Ancien (23 - 79), Histoire naturelle 26, 1-4.

 

Rétroviseur 07, 24heures, 18.04.09

Dernier stade...

2009 après J.-C. : «Des échauffourées entre supporters du FC Lucerne et du FC Sion ont eu lieu lundi soir dans et aux abords du stade de l’Allmend […]. La police est intervenue une première fois après les tirs au but, lorsque des fans valaisans et lucernois ont envahi la pelouse et en sont venus aux mains. Elle a dû intervenir plus massivement devant le stade où une bagarre générale menaçait. Des bouteilles et des fusées ont été lancées contre les forces de l’ordre. Elles ont répliqué avec des canons à eau et par des tirs de balles en caoutchouc. Quatre Valaisans et un Lucernois ont été interpellés.» (24 heures, 15.04.2009).

La routine, quoi. Ces temps-ci, les rencontres de foot et de hockey débouchent presque immanquablement sur les habituelles bagarres entre supporters abrutis (pléonasme ?). D’où sécurisation poussée des stades et de leurs alentours, mobilisation policière massive et dégâts divers, le tout aux frais de la collectivité.

La violence au stade a connu, bien avant le carnage du Heysel en 1985, un autre précédent fameux. En 59 après J.-C., rapporte Tacite, «un incident bénin a déclenché un massacre affreux entre habitants de Nuceria et de Pompéi, pendant un combat de gladiateurs donné par Livineius Regulus […]. Poussés par le manque d'éducation typique des provinciaux, les gens se lancèrent d’abord des injures, puis des pierres, puis on en vint aux armes. La plèbe de Pompéi, où se déroulait la rencontre, prit le dessus : nombre de Nucériens sont repartis blessés, et beaucoup pleuraient la perte d’un fils ou d’un père. L’empereur [Néron] a confié le jugement de l’affaire au Sénat, qui l’a transmis aux consuls, lesquels l’ont renvoyé au Sénat».

Le verdict, en définitive, fut exemplaire : interdiction officielle à la ville de Pompéi d’organiser tout rassemblement de cette sorte pendant dix ans, et dissolution d’associations locales. Quant aux principaux fauteurs de trouble, y compris l’organisateur Livineius Regulus, ils furent condamnés à l’exil. C’était le bon temps.

Tacite (vers 55 – vers 120 après J.-C.) Annales, XIV, 17.

 

 

Rétroviseur 06, 24heures, 21.03.09

Pauvres riches !

Les temps sont durs pour les requins. Le désir vorace d’accumuler le plus d’argent possible et donc, forcément, d’en soustraire le maximum aux impôts, est de plus en plus mal vu. Pire, ça devient techniquement difficile. «Par cupidité», disait Lucrèce il y a plus de 2000 ans, certains «sortent du cadre légal, rendent le droit complice ou même agent du crime, l’assujettissent jour et nuit à un labeur sans égal pour s'élever au faîte de la fortune». Mais voilà que la complicité du droit n’est plus assurée : la Suisse elle-même, sous la pression, finit par renoncer aux artifices légaux qui couvraient très commodément l’évasion fiscale.

D’aucuns, craignant l’exode des magots, dénoncent la «persécution des riches». Mais ceux qui s’efforcent d’échapper au fisc sont-ils vraiment riches ? Peut-être est-il temps d’évoquer des notions qui dans le domaine financier semblent dépassées, voire déplacées : la philosophie et la morale.

Pour l’avocat Cicéron, contemporain de Lucrèce, être riche, c’est en principe posséder assez de ressources pour n’avoir plus besoin de rien. «A ton sens, regorges-tu d'argent, en as-tu assez ? Si oui, d’accord, tu es riche. Mais si dans ton avidité d'amasser, tu ne considères aucun gain comme honteux […] ; si tous les jours tu fraudes, tu trompes, tu demandes, tu passes des marchés, tu enlèves, tu prends ; si tu dépouilles les alliés et pilles le trésor public […], est-ce que ce sont là des signes d'abondance ou de misère ?». Voilà bien le paradoxe : le vrai riche, par définition, ne ressent nul besoin d’engranger davantage. Il est comblé. Or les cupides et les avares mus par l’envie d’amasser toujours plus ne le seront jamais. Ce sont, au sens strict, des gens dans le besoin... «Pas un seul qui puisse se contenter de ce qu'il a ; aussi doit-on les regarder non comme des gens riches et dans l'abondance, mais comme des pauvres et des indigents.» Plaignons donc de tout cœur ces miséreux qui tentent désespérément de dissimuler leur argent dans nos banques.

(Lucrèce, 98-54 (?) av. J.-C., De la nature, III, 59-73. Cicéron, 106-43 av. J.-C., Les paradoxes, V)

 

Rétroviseur 05, 24heures, 20.02.09

Les jeux du cirque (blanc)

Difficile d’échapper, ces dernières semaines, aux mondiaux de ski alpin de Val d’Isère. D’autant que les succès suisses ont ravivé le chauvinisme des médias, pour qui le ski est devenu pour un temps le premier des sujets planétaires : à la une des journaux, des médaillés bien contents ; en ouverture des bulletins radiophoniques, de longues minutes consacrées à des centièmes de seconde ; en tête de téléjournal, les sempiternelles images de coureurs dévalant des pentes et de supporters agitant des cloches.

Il y a 19 siècles à Rome, d’aucuns se lassaient déjà de revoir du déjà-vu cyclique de même teneur, à savoir les courses de chars. Mais à cette époque-là, pas de battage médiatique : il était plus facile de se détacher des événements… Pline le Jeune : «J’ai passé ces derniers temps entre mes tablettes et mes opuscules dans le plus délicieux repos. Comment est-ce possible à la ville, direz-vous? C'est qu'il y avait les Jeux du Cirque, genre de spectacle qui ne me séduit aucunement. Rien de nouveau là-dedans, rien de varié, rien qu'on n'ait déjà vu une fois, ce qui est bien suffisant. Je suis d'ailleurs étonné que tant de milliers de gens soient de temps à autre repris, comme de grands enfants, du désir de voir des chevaux lancés à la course et des cochers debout sur des chars». Ou des skieurs descendre des pistes, debout sur des lattes.

«Si encore on s'intéressait à la rapidité des chevaux ou à l'habileté des cochers, ça pourrait s'expliquer. Mais non, c'est la couleur de l'habit qu’on applaudit, c'est elle qu’on aime; et si en pleine course on intervertissait les tuniques de deux cochers, les encouragements et les applaudissements changeraient de camp». Parions que les supporters helvètes en bord de piste encourageraient frénétiquement le plus honni des Autrichiens si par hasard il courait dans une combinaison suisse.

«Quand je pense que c'est cet amusement futile, sot, monotone, qui les cloue à leur place, jamais rassasiés, j'éprouve une certaine joie à ne pas éprouver celle-là.»

Pline le Jeune (né en 61, mort vers 114), Lettres IX, 6.

 

Rétroviseur 04, 24heures, 24-25.1.09

Obama Imperator

«Quel beau jour que celui où, tant attendu, tant désiré, tu as fait, à pied, ton entrée dans la ville! Cette façon d’y entrer, quelle merveille, quel heureux présage! Tes prédécesseurs aimaient se faire voiturer et même porter. […] Mais toi, seule ta taille te faisait plus haut et plus grand que les autres. […] Ni l’âge, ni la santé, ni le sexe n’empêchèrent quiconque de se remplir les yeux de ce spectacle inouï. Les enfants apprenaient à te connaître, les jeunes ne cessaient de te montrer, les vieux t’admiraient. […] Les uns disaient qu’ils pouvaient mourir à présent qu’ils t’avaient vu, les autres rétorquant qu’au contraire, c’était maintenant qu’il fallait vivre! […] Les toits couverts de monde, nulle place inoccupée, partout des rues bondées où ne restait pour toi qu’un étroit passage, de tous côtés un peuple en liesse, partout même joie et mêmes acclamations […].»*

C’était il y a 1910 ans, à Rome : Trajan, désigné empereur en 98, n’entrait dans la capitale qu’en 99. Même scénario, mardi dernier, à Washington : Obama, élu en 2008, investi en 2009. Tous deux dans la quarantaine, tous deux anciens brillants sénateurs, tous deux immensément populaires. Dans les deux cas, leur nomination est une révolution: natif d’Espagne, Trajan fut le premier provincial à accéder au pouvoir suprême; Obama est le premier Noir. L’un comme l’autre incarnent un changement de style: ouvert et affable, Trajan privilégiait la modération, l’équilibre, le juste milieu. Entouré de conseillers très qualifiés, il fut le premier à recevoir des Romains le titre d’Optimus Princeps, le meilleur empereur. Peut-être Obama connaîtra-t-il semblable fortune, qui sait… Souhaitons toutefois que le parallèle s’arrête là. Car Trajan fut aussi un chef de guerre, qui agrandit l’empire en lançant de vastes opérations militaires. Il conquit d’abord la Dacie (Roumanie) puis, afin de s’assurer le contrôle des grands axes commerciaux, il envahit l’Arabie, l’Arménie et la Mésopotamie, qu’on appelle aujourd’hui l’Irak.

* Pline le Jeune, Panégyrique de Trajan, 22-23

 

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Attis le ressuscité

Comment tromper le peuple tout en finesse

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Rétroviseur 03, 24heures, 27.12.08

Attis le ressuscité

Comme on vient de fêter l’anniversaire de Jésus (né au plus tard en 4 avant lui-même), rappelons que sa légende n’est pas totalement unique : au 1er siècle de notre ère, d’autres divinités d’origine proche-orientale promettaient à leurs fidèles un jugement dernier, le salut de l’âme et la vie éternelle. Ainsi Attis, lié à la déesse Cybèle. Son mythe connaît des variantes, mais résumons : Attis naquit d’un père divin et d’une mère humaine, tombée enceinte avec une grenade (une sorte d’immaculée conception, donc). Abandonné, l’enfant Attis fut nourri par une chèvre et devint un très beau berger. Du haut des cieux, Cybèle en tomba amoureuse et lui fit promettre une éternelle et chaste fidélité. Mais un jour Attis, demi-dieu mais pas moins homme, céda aux charmes d’une nymphe... Folle de jalousie, Cybèle le frappa de démence : en plein délire, Attis s’émascula lui-même avec une pierre tranchante et en mourut. Il ressuscita quatre jours plus tard, au printemps, puis monta au ciel s’asseoir près de Cybèle.

Instauré à Rome en 42 après J.-C., le culte d’Attis se célébrait principalement du 15 au 27 mars : après une période d’abstinence sexuelle et alimentaire (donc un genre de carême), on pleurait la mort du dieu le 24, avec lamentations, autoflagellations et sacrifices. Le 25, un prêtre annonçait la résurrection ; s’ensuivaient cortège triomphal, danses et bombance.

Le clergé d’Attis, qui prônait le rejet du charnel au profit du spirituel, était castré, comme le dieu : une façon radicale d’assurer le célibat des prêtres. Et où se situe, à Rome, le grand temple d’Attis ? Pile sous la basilique Saint-Pierre.

Pas mal d’analogies, donc, entre Attis et Jésus. L’un est certes mythologique, alors que l’autre fut un personnage réel, exécuté par les Romains. Reste qu’avec Attis et d’autres, les idées de résurrection et de rédemption étaient déjà répandues : les premiers auteurs chrétiens, deux générations après la fin déroutante de ce Jésus qu’ils n’avaient jamais connu, s’en seraient-ils inspirés ?

Rétroviseur 02, 24heures, 25.11.08

Comment tromper le peuple tout en finesse

«Tout peuple nourrit à l'égard des hommes politiques une malveillance certaine, et se montre toujours enclin à les accuser.» C’est ce qu’écrivait Plutarque vers 105 après J.-C. Disons-le d’emblée, il était nettement plus proche des hommes politiques que du peuple, qu’il dépeint ici comme une masse critique, détestablement soupçonneuse, toujours à voir le mensonge et la magouille partout. En clair, avec les politiques, le peuple a facilement l’impression de se faire baiser. Comment, dès lors, lui faire avaler des décisions impopulaires sans déclencher de tels sentiments ? Plutarque livre aux dirigeants une recette simple : «quand, à propos d'une mesure importante et salutaire, le peuple est plein de soupçon, les hommes d'Etat ne doivent pas exprimer tous le même avis, comme s'ils s'étaient mis d'accord auparavant.» Il suffit pour cela de simuler, pour un temps et pour la galerie, le désaccord et l’argumentation : «deux ou trois d'entre les hommes d’Etat doivent se distinguer de leurs amis et leur apporter calmement la contradiction. Après quoi, comme s'ils avaient été finalement convaincus, ils changent d'avis et se rallient aux autres ; ils entraînent ainsi le peuple avec eux, car ils paraissent guidés par l'intérêt public.» Dommage que, dix-neuf siècles après, notre Conseil fédéral ne suive pas ces sages préceptes... Obsédé au contraire par l’image de sa collégialité, il veut coûte que coûte montrer sa belle unité à tous les passants. Dès lors, quand il décide en quelques heures de prendre aux contribuables une somme astronomique pour rattraper, sans aucune compensation, les erreurs des requins de l’UBS, le peuple, forcément, a des soupçons et des rancoeurs. Tandis que si quelques uns de nos ministres (au hasard, les deux prétendus socialistes) avaient, pour la forme et le principe, pris leurs distances avec cette mesure unilatérale, ils auraient paru davantage «guidés par l’intérêt public». Et le peuple aurait peut-être un peu moins l’impression de s’être fait baiser.

(Plutarque, ~50 - ~125 : Œuvres morales, préceptes politiques, 16).

 

Rétroviseur 01, 24heures, 22.11.08

Quand les Juifs pratiquaient l’Intifada

«Nouvelle flambée de violence dans les territoires occupés» : un refrain de l’actualité devenu tristement banal. Jets de pierres sur les soldats, provocations des colons, foules en colère, attaques, représailles, escalade… La Judée antique, déjà, avait connu ça.

On s’en souvient, la «deuxième Intifada» a explosé suite à la visite très controversée d’Ariel Sharon sur l’Esplanade des Mosquées à Jérusalem, le 28 septembre 2000. Un affront pour les Palestiniens.

Or une vingtaine de siècles plus tôt, entre 48 et 52 après J.-C., exactement au même endroit, un autre affront déclencha une autre Intifada. Mais en ce temps-là, le Temple juif d’Hérode se dressait encore sur les lieux, l’armée était romaine et les lanceurs de pierres étaient juifs...

Contemporain des événements, Flavius Josèphe raconte : ce jour-là, «il y avait foule à Jérusalem pour la Pâque juive. La cohorte romaine avait pris position sur le toit du portique du Temple : les soldats y montent toujours la garde les jours de fête, pour prévenir tout mouvement séditieux de cette foule assemblée. L’un des soldats, retroussant son vêtement, se baissa avec indécence en se tournant pour montrer son derrière aux Juifs. Puis il fit entendre un bruit en rapport avec sa posture. Indignée de cette insulte, toute la foule cria au préfet Cumanus de punir le soldat. Des jeunes, moins maîtres d'eux-mêmes, avec la frange de la population la plus naturellement portée à la révolte, s'avancèrent pour combattre: ils ramassèrent des pierres et en bombardèrent les soldats. Craignant que tout le peuple ne l'attaque lui-même, Cumanus fit venir des légionnaires en renfort, qui se répandirent sur les portiques. Une peur irrésistible s'empara alors des Juifs: abandonnant le Temple, ils fuirent en ville. Ce fut une telle bousculade aux portes de sortie que plus de trente mille hommes moururent piétinés les uns par les autres… La fête se changea en deuil pour toute la nation et en chants funèbres pour toutes les familles.»

Lieu saint, provocation, soulèvement, carnage : il y a des endroits où, semble-t-il, l’Histoire se répète davantage qu’ailleurs.

Flavius Josèphe (né en 37, mort vers 100) : Guerre des Juifs II, 223-231.

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