DOSSIER DES LATINISTES

EXPOSITION TEMPORAIRE DU MUSEE ROMAIN DE LAUSANNE-VIDY

DEDALE (du 14 mai 04 au 9 janvier 05)

documents obligeamment communiqués par leur auteur, M. Laurent Flutsch

 

 

QUATRIEME PAGE

Moi, c’est Caius Domitius Carassounus, homme d’affaires. Pour mon négoce, je devais passer le Summus Poeninus (col du Grand-Saint-Bernard). Au col, il y avait un sanctuaire de Jupiter Poeninus, le dieu local. Je lui ai donné un jour cet ex-voto, en y précisant mon origine : HEL pour Helvète ; et mon métier : MANGO, marchand d’esclaves.

Ex-voto de l’Helvète Caius Domitius Carassounus, marchand d’esclaves

Trouvé au col du Grand-Saint-Bernard

Bronze, époque romaine

I(ovi) O(ptimo) M(aximo) Poenino C(aius) Domitius Carassounus Hel(vetius) mango v(otum) s(olvit) l(ibens) m(erito)

A Jupiter Poeninus très bon et très grand, de Caius Domitius Carassounus, marchand d’esclaves helvète, qui s’est volontiers acquitté de son voeu

Prêt du Musée national suisse, Zurich

Le dieu Mithra, venu de Perse, avait des fidèles dans tout l’empire. Un temple lui était consacré à Forum Claudii Vallensium (Martigny). Moi, Paternus, je lui ai demandé son secours et il m’a exaucé. Alors je lui ai offert ce gobelet où j’ai inscrit : « Paternus en ex-voto au dieu invincible ; il boit… ». Parce que si je bois, c’est que je suis sauvé et bien vivant ! D’ailleurs, à l’époque, BIBIT (il boit) se prononçait presque comme VIVIT (il vit). Et les dieux comprennent sûrement les jeux de mots.

Gobelet votif de Paternus à Mithra

Trouvé à Forum Claudii Vallensium (Martigny)

Terre cuite, 2ème ­ 3ème siècle

Pat(ern)us deo invicto ex voto bibit…

De Paternus en ex voto au dieu invaincu ; il boit…

Prêt du Musée cantonal d’archéologie, Sion

Mon frère était en garnison à Vindonissa (Windisch), et je lui écrivais parfois. Sur la cire de cette tablette, j’ai inscrit au stilet, d’une écriture fine : « Primigenius Camerius  salue son frère Primigenius Oclatius. J’espère vraiment que tu te portes bien, moi je vais bien. Je te demande, et je demande aux dieux… ». Le reste est effacé et tant mieux : ça ne vous regarde pas.

Lettre de Primigenius Camerius à son frère Primigenius Oclatius

Trouvée à Vindonissa (Windisch, Argovie)

Bois, 1er siècle

Prêt du Vindonissa-Museum, Brugg

Je m’appelle Masso, et ma vie n’a pas été rose : mon maître me louait au patron d’une tuilerie. Je l’ai d’ailleurs gravé : «Masso, esclave de Gratus, a fait cette tuile dans la manufacture propriété de Dirox».

Ailleurs aussi, on sous-traitait la main d’œuvre servile. L’autre tuile a été produite dans l’atelier «de Victor par Erymus, esclave de Paridianus».

Graffitis d’esclaves sur tuiles

Trouvés à Erlach (Berne) et Wettswil (Zurich)

Terre cuite, époque romaine

Possessi(one ?) Dirogis Grati serv(u)s Masso fecit

Fait par Masso, esclave de Gratus, dans la propriété de Dirox.

Victor(…) Paridiani Erymo (…)

Fait dans l’atelier de Victor par Erymus, esclave de Paridianus

Prêts du Musée national suisse et de la Kantonsarchäologie, Zurich

Licinus, était le fils de Clossus ; avec d’autres helvètes comme lui, il servait dans un régiment de cavalerie espagnol affecté à la 22e légion romaine, en Germanie, sur le Rhin, là où l’empire s’arrête face au danger barbare. Licinus est mort là, à 47 ans, après 26 ans d’armée. Moi, Tiberius Iulius Capito qui étais son héritier, j’ai fait ériger cette stèle sur sa tombe : sur la pierre, il chevauche encore et terrasse l’ennemi ; c’est ce que fut sa vie. Mais dessous, il repose enfin en paix.

Stèle funéraire du cavalier helvète Licinus

Trouvée à Worms (Allemagne)

Licinus Clossi f(ilius) Helvetius ann(orum) XLVII eques alae Hisp(anorum) stip(endium) XXVI h(ic) s(itus est) Tiberius Iulus Capito h(eres)

Ici repose Licinus, fils de Clossus, 47 ans, cavalier helvète dans l’aile espagnole, 26 ans de service. Tiberius Iulius Capito, son héritier…

Prêt du Musée national suisse, Zurich

Dans le sanctuaire pas loin d’Eburodunum (Yverdon), moi Iulia Iuliana, j’ai offert à Mercure, pour un vœu qu’il m’a exaucé, cette statuette du bouc qui l’accompagne.

Celui qui a gravé ma dédicace sur le socle est d’origine gauloise : il a écrit «au dieu Mercure » DAEO MERCURIO, plutôt que DEO MERCURIO. D’ailleurs, le dieu aussi est un dieu celte indigène, même si on lui donne désormais les traits et le nom de Mercure, son équivalent latin.

Statuette votive du bouc de Mercure

Trouvée à Ursins (Vaud)

Bronze, époque romaine

Daeo Mercurio Iul(ia) Iuliana v(otum) s(olvit) l(ibens) m(erito)

Au dieu Mercure, de Iulia Iuliana, qui s’est volontiers acquitté de son vœu

Prêt du Musée cantonal d’archéologie et d’histoire, Lausanne

Je suis né au cours du 2ème siècle à Payerne, pas loin de la ville d’Aventicum. Mais ma vie n’a duré que six mois. Dans la fosse, à côté de mon petit cercueil en sapin cloué, ils ont placé une cruche de boisson. Dans le cercueil, d’un côté de ma tête, ils ont mis un petit flacon de baume en verre, et de l’autre, ils ont posé mon biberon.

Sépulture de nourrisson, avec balsamaire en verre, cruche et biberon

Trouvée à Payerne, route de Bussy

2ème siècle après J.-C.

Prêt du Musée cantonal d’archéologie et d’histoire, Lausanne

Cette année-là, Mucianus et Fabianus étaient consuls à Rome, et l’empereur Caracalla régnait depuis 3 ans. Moi, Firmidius Severinus, soldat de la VIIIème légion, après 26 ans de service (au lieu de 20, mais la guerre civile de 193 à 197, sous Septime-Sévère, a retardé ma libération), adepte du dieu perse Mithra comme bien des camarades, je lui ai dressé cet autel pour avoir, selon mon vœu, assuré mon salut. C’était il y a exactement 1803 ans, en l’an 201.

Autel de Firmidius Severinus à Mithra

Trouvé à Genava (Genève)

201 après J.-C.

Deo invicto Genio loci Firmidius Severinus mil(es) leg(ionis) VIII Aug(ustae) p(iaie) f(idelis) c(onstantis) C(ommodae) stip(endiis) XXVI aram ex voto pro salute sua v(otum) s(olvit) l(ibens) m(erito) posita Muciano et Fabiano co(n)s(ulibus)

Au dieu invaincu et au génie du lieu, Firmidius Severinus, soldat de la VIIIème légion Auguste, pieuse et fidèle à Commode, a érigé cet autel pour son salut après 26 ans de service, après un vœu dont il s’acquitte volontiers. Sous le consulat de Mucianus et de Fabianus.

Prêt du Musée national suisse, Zurich

Il était une fois, à Aventicum, une esclave indigène au nom bien gaulois : Gannica. Elle appartenait à Titus Nigrius Saturninus. Il lui offrit la liberté en l’affranchissant. Elle prit alors pour prénom le surnom de son bienfaiteur et devint Saturninia Gannica. Puis ils se marièrent. C’est mon histoire… Moi, Saturninia Gannica, j’ai fait poser cette pierre sur la tombe de celui qui fut mon maître puis mon époux.

Stèle de Titus Nigrius Saturninus

Découverte à Morat (Fribourg), où elle a sans doute été transportée depuis Avenches (Vaud)

D(is) M(anibus) T(iti) Nigi Saturnini Saturninia Gannica liberta et coniunx f(aciendum) c(uravit)

Aux Dieux Mânes de Titus Nigrius Saturninus, Saturninia Gannica, son affranchie et épouse, a fait poser cette pierre.

Prêt du Musée national suisse, Zurich

On était nés esclaves, mon frère et moi. Papa s’appelait Fuscus (le basané). Nous aussi, on nous avait donné des noms typiques d’esclaves: Olus (légume de cuisine, chou) et Fuscinus (le petit basané). On a eu, du côté d’Augusta Raurica, une vie bien courte : 12 ans et 16 ans.  On nous a enterrés ensemble, juste sous cette pierre.

Pierre tombale des frères Olus et Fuscinus

Trouvée à Bâle

Olu(s) an(norum) XII

et Fuscinus an(norum)

XVI Fusci fili

H(ic) s(iti) s(unt)

Olus, 12 ans, et Fuscinus, 16 ans, fils de Fuscus, reposent ici.

Prêt du Römermuseum Augst

©Laurent Flutsch, Conservateur du Musée romain de Lausanne-Vidy

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