DOSSIER DES LATINISTES

Table des chapitres du dossier "Jeux de mots, archéologie du français"


INTRODUCTION : Aux racines du français

1. Au commencement étaient les Celtes... (gaulois)

2. Alors vint Jules César... (latin)

3. Avec le temps, va, tout s'en va... (un peu de phonétique historique)

4. Les Francs étaient germaniques... (germanique médiéval)

5. Au temps des Croisades... (arabe médiéval)

6. Des marchands venus du Nord... (flamand médiéval)

7. La culture provençale... (méridional médiéval)

8. Le retour aux sources... (italien Renaissance)

9. Au temps des grandes découvertes... (espagnol, portugais Renaissance)

10. Des mercenaires venus du Nord et de l'Est... (influences diverses Renaissance)

11. Quand les mots latins repassent la Manche... (anglais Renaissance)

12. Les mots exotiques (nouveaux mondes)

13. Mondialisation du vocabulaire (temps modernes)

14. Et pour finir, un peu de sémantique... (mots cousins)

 

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Jeux de mots
archéologie du français

Avec le temps, va, tout s'en va...

Colonnes et corniche remontées sur
l'esplanade des marronniers à Nyon, en 1958,
à l'occasion du bimillénaire de la fondation de
cette ville par Jules César -- ces deux mots
proviennent respectivement du latin "columna"
et du grec "corônis"

La mue des mots

Du latin au français, les mots se sont lentement transformés. Leur son et parfois leur sens ont évolué au fil des générations. Comment s'est opérée la mutation ? En 2000 ans, comment est-on passé de magistrum à maître ou de fabrica à forge ? Pour le savoir, lisez et écoutez!

De magistrum à maître

Le mot maître est issu du latin magister, magistrum signifiant « chef, maître », qui a supplanté le mot classique dominus « maître de maison », dont le féminin domina a donné dame, ainsi que quelques dérivés (dominical, dominer).

Évolution phonétique :

Latin classique

magistrum

avec l'accent tonique sur le i

Latin vulgaire

magestro

le i se modifie en e fermé et la finale -um évolue vers o fermé

1ère moitié du 3e siècle

mayestro

placé entre deux voyelles, le g passe à y

5e siècle

maystro

le y fait passer e à i

2e moitié du 6e siècle

maystre

le o final s'affaiblit en e

 

maistre, mestre

le son double ay se simplifie en è

Aujourd'hui

maître

le circonflexe note la disparition du s

De fabrica à forge

Le mot forge est issu du latin fabrica « atelier », spécialement « atelier de forgeron ». Fabrica dérive de faber « artisan, ouvrier sur fer », qui a donné l'ancien français fèvre (d'où les noms de famille Faivre, Favre, Favrod...). Quant au mot fabrique, il a été fabriqué tardivement, au 14ème siècle, directement sur le latin fabrica.

Évolution phonétique :

Latin classique

fabrica

avec l'accent tonique sur la 1ère syllabe

Latin vulgaire

fabreca

le i évolue vers e fermé

1er siècle

fab reca

la séquence br évolue vers b r, entre b et v, comme dans l'espagnol saber

Fin du 4e siècle

fab rega

le c, placé entre deux voyelles, se sonorise en g

5e siècle

fab rga

le e, atone, tombe

fawrga

cela permet à la séquence b r de passer à wr

1ère moitié du 5e siècle

fawrdya

le g passe à dy

5e siècle

fordya

le son double aw se simplifie en o ouvert

1ère moitié du 6e siècle

fordjya

dy continue son évolution vers djy

2e moitié du 6e siècle

fordjye

le a final s'affaiblit en e

7e siècle

fordje

djy poursuit son évolution vers dj, le r est toujours roulé

Dès le 13e siècle

forge

dj se simplifie en j

17e siècle

forge

le r n'est plus roulé.

De camera à chambre

Chambre est issu du latin camera, lui-même emprunté au grec kamara, mot technique désignant divers objets couverts par une voûte (tombe, bateau, voiture). Le mot latin signifie surtout à basse époque « pièce (notamment pour dormir) » et au Moyen Âge « endroit où l'on juge ».

Évolution phonétique :

Latin classique

camera

avec l'accent tonique sur la première syllabe

3e siècle

camra

le e tombe

cambra

un b de transition est ajouté entre m et r

1ère moitié du 5e siècle

tyambra

le c initial suivi d'un a évolue vers ty

1ère moitié du 6e siècle

tchyambra

ce son ty, transitoire, évolue en tchy

2e moitié du 6e siècle

tchyambre

le a final s'affaiblit en e

7e siècle

tchambre

tchy continue son évolution en tch

11e siècle

tchãmbre

le a suivi d'un m passe à ã (comme dans le mot banc)

13e siècle

chãmbre

tch se réduit à ch, le m est toujours prononcé

1ère moitié du 17e siècle

chãbre

ce m finit par tomber

17e siècle

chambre

le r n'est plus roulé

De tripalium à travail

Le mot travail dérive du latin vulgaire tripalium mot composé de tri « trois » et de palus « pieu », littéralement « machine faite de trois pieux », nom d'un instrument de torture. Le verbe *tripaliare, qui a donné travailler (attesté dès 1080), signifiait littéralement « tourmenter, torturer avec le tripalium ». En ancien français, et toujours dans l'usage classique, travailler signifie « faire souffrir » et « souffrir », physiquement ou moralement. Jusqu'à l'époque classique, le mot travail exprime couramment les idées de tourment, de peine et de fatigue. L'idée moderne d'activité productive se fait jour en moyen français (début du 15e siècle), dans les domaines manuel et intellectuel.

Évolution phonétique :

Latin classique

tripalium

avec l'accent tonique sur le a

Latin vulgaire

trepalyo

le i aboutit à un e fermé et la finale -um évolue vers o fermé

Fin du 4e siècle

trebalyo

le p, placé entre deux voyelles, se sonorise en b

5e siècle

treb alyo

le b évolue vers b (son correspondant à l'espagnol saber)

1ère moitié du 6e siècle

trevalyo

ce son transitoire passe ensuite à v

trevaylo

le son y vient se placer avant le l

2e moitié du 6e siècle

trevayl

le o final s'affaiblit en e puis tombe

Aujourd'hui

travail

le e fermé s'ouvre en a sous l'action du r qui précède

D'aquarium à évier

Le mot évier vient du latin aquarium « réservoir à eau, abreuvoir », dérivé du mot aqua « eau ». Dès 1865, le mot va désigner le dispositif ménager comportant un trou pour l'écoulement des eaux.

Quant à notre aquarium, c'est une fabrication tardive (14e-15e siècles) utilisant le mot latin d'origine pour désigner le bassin pour animaux.

Évolution phonétique :

Latin classique

aquarium

avec l'accent tonique sur le a

Latin vulgaire

aqwaryo

la finale -um évolue vers o fermé

Fin du 4e siècle

agwaryo

le son k se sonorise en g

2e moitié du 5e siècle

ag waryo

g évolue vers g (comme dans l'espagnol agua)

1ère moitié du 6e siècle

awwaryo

le g s'assimile au w qui suit

awaryo

simplification

2e moitié du 6e siècle

awyèro

influencé par le son y se trouvant dans le mot, le a portant l'accent passe à

awyèr(e)

le o final s'affaiblit en e puis tombe

avyer

la semi-voyelle w (que l'on rencontre dans oui) passe à la consonne v

Dès le 13e siècle

évier

le a initial se transforme en e sous l'influence de l'ancien français eve « eau », produit du latin aqua

Quant au mot eau, il s'explique de la sorte : le latin aqua a évolué jusqu'à èwe, puis le son w s'est vocalisé en u et un a de transition est venu s'intercaler entre eux : e-a-u(e).

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