DOSSIER DES LATINISTES

Table des chapitres du dossier "Jeux de mots, archéologie du français"


INTRODUCTION : Aux racines du français

1. Au commencement étaient les Celtes... (gaulois)

2. Alors vint Jules César... (latin)

3. Avec le temps, va, tout s'en va... (un peu de phonétique historique)

4. Les Francs étaient germaniques... (germanique médiéval)

5. Au temps des Croisades... (arabe médiéval)

6. Des marchands venus du Nord... (flamand médiéval)

7. La culture provençale... (méridional médiéval)

8. Le retour aux sources... (italien Renaissance)

9. Au temps des grandes découvertes... (espagnol, portugais Renaissance)

10. Des mercenaires venus du Nord et de l'Est... (influences diverses Renaissance)

11. Quand les mots latins repassent la Manche... (anglais Renaissance)

12. Les mots exotiques (nouveaux mondes)

13. Mondialisation du vocabulaire (temps modernes)

14. Et pour finir, un peu de sémantique... (mots cousins)

 

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Jeux de mots
archéologie du français

Et pour finir, un peu de sémantique...

Malgré des sens très différents, "clou", "clef",
"clavier", "clavecin" et "clavicule" proviennent
tous du mot latin CLAVIS, la clef...

Mots cousins

Le français, on l'a vu, s'est enrichi de greffes successives. Mais au-delà de ces apports venus d'autres langues, il s'est développé au fil du temps, perdant des branches mortes tandis que d'autres se ramifiaient. C'est ainsi que, de génération en génération, des associations d'idées, des glissements de sens, et parfois des malentendus ont peuplé le vocabulaire de mots qui, très différents dans leur signification actuelle, n'en remontent pas moins à la même racine.

Les pages qui suivent livrent quelques exemples de ces familles parfois nombreuses, où les parents et les cousins plus ou moins éloignés témoignent de la vitalité de la langue.

Calculons les petits cailloux calcaires calcinés

En latin, le mot calx, calcis désignait la chaux, et aussi la pierre calcaire (mot dérivé de l'adjectif calcarius), dont on la tire par cuisson dans un four (d'où le mot calciné). Le mot latin a fini par s'étendre plus généralement à toutes les formes de pierre. La voie romaine empierrée, la [via] calceata, a ainsi abouti à la chaussée.

Le diminutif calculus (petite pierre), qui a laissé la chaille en langage régional, est passé par le dialecte picard pour fournir au français le mot caillou. Or, les Romains se servaient de petits cailloux, les calculi, pour compter. Et par glissement, le mot a fini par désigner l'opération elle-même, d'où le calcul, la calculette et, au sens figuré, le sournois calculateur. A noter que le sens pierreux d'origine est rétabli dans une tardive fabrication savante, le calcul rénal.

La clé du clavecin est au clou

Le latin clavis et son synonyme clavus désignaient à l'origine la tige que l'on passait dans des anneaux superposés pour fermer un battant. Au fur et à mesure que la serrurerie se perfectionnait, clavis évolua en clef, alors que clavus, restant associé à une tige métallique, devint clou.

Le diminutif clavicula a donné la cheville, pièce mécanique puis articulation du pied. Plus tard, les anatomistes formèrent sur cette racine le mot clavicule, os exclusivement humain en forme de clef.

La clef est aussi une pièce articulée d'instrument de musique, d'où le clavecin ("cymbalon à clefs", du latin médiéval clavicymbalum) et le clavier du piano, de la machine écrire puis de l'ordinateur.


Cocktail de crevettes et chèvre

Le latin capra a donné la chèvre. Par analogie, c'est avec son diminutif chevrette que l'on désignait, en ancien français, un crustacé dont les bonds dans l'eau rappellent ceux d'une jeune chèvre qui gambade. Rabelais utilise encore, au 16ème siècle, le mot chevrette pour le crustacé. Pus tard, c'est la forme usitée dans les dialectes picards et normands qui s'imposa, sous la forme crevette.


Cosmétique cosmique

Le mot grec kosmos signifiait à peu près "le bon ordre". L'école de Pythagore, qui considérait que les nombres, d'essence divine, étaient source de toute chose, s'en servit pour désigner l'ordonnance harmonieuse de l'Univers. De là le cosmos et les cosmonautes actuels.

Mais en Grèce antique, la notion de bon ordre ne s'appliquait pas qu'à l'Univers ; kosmos servait aussi à évoquer le bel agencement de la parure féminine. Ainsi Platon désignait-il sous l'expression kosmêtikê tekhnê (formée avec le féminin de l'adjectif kosmeticos) l'art de se parer et de s'embellir. D'où l'adjectif cosmétique, utilisé aussi comme nom féminin pour l'art en question, et au masculin pluriel pour les produits qui le facilitent.

La cuisse sur le coussin

Le latin coxa désignait la hanche et cuisse se disait femur. Avec l'arrivée des Francs au Moyen Âge, le germanique hanka se substitua à coxa pour la hanche, et coxa descendit le long de la jambe pour finalement donner le français cuisse.

Pour améliorer le confort des sièges trop dur, on les recouvrait d'un coxinus, ainsi nommé parce que cet objet rembourré se plaçait sous les cuisses. Et le coxinus devint le coussin.

Du grain et des grenades

Le mot latin granum et son pluriel grana ont respectivement fourni le grain et les graines. En latin littéraire, le bâtiment où l'en entreposait ces précieuses denrées se nommait granarius, d'où le grenier, alors qu'en latin vulgaire, on employait le mot granica, d'où la grange.

L'adjectif granatus, grenu, a quant à lui abouti, par le biais de l'italien granito, au français granit, une roche dont la surface est plutôt granuleuse.

Au féminin, granatus qualifiait la poma granata, fruit plein de pépins qui devint la pomme grenade et que l'adjectif grenade, substantivé, suffit désormais à désigner. En dérive la grenadine.

Par métaphore, on baptisa aussi grenade le projectile dont la forme évoque celle de fruit et dont les éclats peuvent, eux aussi, occasionner de nombreux pépins.

Des grenouilles sous les renoncules

Le latin rana, qui désignait la grenouille, est devenu raine en ancien français, dont seul subsiste aujourd'hui le diminitif, chez la rainette.

Mais la rana latine avait elle aussi son diminutif. Et c'est donc de ranuncula (la petite grenouille), transformée en ranucula par le latin vulgaire, que le français médiéval tira la renouille, laquelle possédait encore des proches parentes dans le patois romand sous la forme renaille (ainsi les habitants du village vaudois de Denens sont-ils surnommés les Fouettâ-renailles, car ils bastonnaient autrefois les batraciens dont les coassements, dans les douves du château, troublaient le sommeil du seigneur local!). Quant à la renouille française, elle fut affublée d'un g initial pour de mystérieuses raisons, sur lesquelles les linguistes n'ont pas fini de grenouiller.

Au 16ème siècle, les botanistes formèrent, sur le latin ranuncula, le nom d'une plante qui pousse en terrain humide riche en grenouilles, et qui devient la renoncule.

Le joug conjugal

Le latin jugum désignait la pièce d'attelage qui devint le joug. Le mot jumentum (formé sur jugsmentum) qui signifie "animal sous le joug", désigna rapidement l'attelage de chevaux, d'ânes ou de mulets, par opposition à l'attelage de bœufs. Puis il prit rapidement le sens de cheval de trait. Et comme on attelait de préférence les femelles, il engendra la jument.

Quant au verbe jungere, atteler, il aboutit au français joindre, et son participe junctus donna joint. Avec le préfixe cum, qui évoque l'idée de réunir, cela donne les conjoints, littéralement : ceux qui sont sous le même joug.

Des vases dans le lave-vaisselle du vaisseau

Le latin vas, qui correspond à un récipient destiné à contenir du liquide, est à l'origine du mot vase. Son diminutif vascellum (petit vase), a connu un destin nettement plus riche : au Moyen Âge, son sens d'objet creux avec contenance s'était étendu aux bateaux, d'où le vaisseau. Par analogie, ce mot désigna aussi, dès le 14ème siècle, le "moyen de transport" du sang vers les organes. Puis, l'exploration des océans ayant fait place à celle de l'espace, le vaisseau devint spatial.

Quant au pluriel de vascellum, vascella, il désignait en latin l'ensemble des récipients de cuisine et de table ; il s'est mué en vaisselle.

Mickey Mouse et ses muscles

En latin, deux mots désignaient la souris : sorex, dont l'accusatif soricem a donné notre souris, et mus, qu'on retrouve dans l'anglais mouse. Le diminutif de mus, musculus, s'appliquait à la petite souris, mais aussi à un coquillage de taille similaire et dont la forme oblongue et dodue rappelait ledit rongeur : devenu mousle en ancien français, ce coquillage s'appelle aujourd'hui la moule. Et c'est par analogie également que musculus était utilisé pour le muscle, dont la forme et les mouvements sous la peau faisaient penser à ceux de la souris.

Ces notices tirent en bonne partie leurs informations de l'ouvrage Les Etymologies surprises, de René Garrus (Paris 1988), où l'on peut découvrir de nombreux autres cousinages surprenants.

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